Rum-Road : 2° semaine

Deuxième semaine

Les rythmes sont établis, les quarts de trois heures s’enchainent de nuit, de jour une présence tournante dans le cockpit s’organise d’elle-même, le dernier quart va se coucher, les successeurs arrivent, profitent du lever du soleil, se préparent le petit déjeuner, un peu de rangement, ça bouquine, un brin de toilette avant que ça boucane , et si une manœuvre est nécessaire on s’avise de la faire à deux ou d’attendre le réveil des deux autres braves pour une meilleure synchro du balai des voiles.

On puise dans les dernières réserves de frais, légumes, et fruits, jambon, saucisson, tapas au calamar, et les premières boites de conserves, les bocaux de légumes, font surface…
les dernières tranches de pain de mie passées au grille-pain, ultime délice !.

Il faut parfois être inventif pour créer un plat hors du commun, miracle on y arrive !
à table on donne des superlatifs dignes de restaurant gastronomique, un comité informel distribue les étoiles à qui mieux mieux !
cette émulation bon enfant amène un certain art de vivre dans une ambiance décontractée, c’est bien la démonstration d’une connivence des équipiers qui ne date pas d’aujourd’hui !

On est attentif aux variations de l’angle et de la force du vent météo, cela permet de réduire ou au contraire d’envoyer plus de surface de voile, au portant notre Petit Minou supporte bien des pointes jusqu’à 25-30N, mais on se doit de ménager la monture, pour ne pas réveiller des points de faiblesse, d’ailleurs un des premiers fusibles à se manifester c’est l’axe du halebas, celui-là même qu’on avait remplacé 5 jours plus tôt, qui cède à nouveau, axe coupé en deux ! Qu’à cela ne tienne on en a en stock, mais quand même, restons raisonnables et doux à la manœuvre.

Notre paysage océanique est constant, peu d’âmes qui vivent autour de nous, l’horizon nous encercle, le bal des nuages qui naissent, grandissent et meurent au-dessus de nos têtes est incessant
ce qui entraine des zones avec du vent calme, puis dynamique, voire rafaleux, parfois des petits grains viennent rafraichir furtivement le bord. Ceci dit on s’étonne de ne croiser personne dans ces contrées, les seuls animaux qui nous rendent visite très furtivement sont des petits dauphins (4-5 visites en 3 semaines c’est peu), les poissons volants qui sont impressionnés par notre vague d’étrave, quelques rares oiseaux de mer: paille-queue, (mouette grise), aucun ne se pose sur le bateau, ni n’accepte nos bouts de pain !
Si on fait le compte des navires croisés en 15 jours, cela doit être inférieur à une dizaine, certains jours c’est nada !

Déconnexion

Nous sommes déconnectés de l’Internet depuis dimanche midi, le réseau Starlink nous a assuré sa couverture bien au-delà des Canaries, c’était inespéré, depuis nous vivons cette déconnexion selon les humeurs de chacun comme un manque, ou bien un luxe !


La problématique principale est que l’on ne peut obtenir de fichier météo GRIB que sur l’application smartphone PredicWind, via l’Iridium GO, mais cela ne fonctionne pas sur le PC, donc cela obère l’utilisation du logiciel de routage Adrena Octopus, c’est bien dommage !
Pour le reste je n’ose imaginer le flot d’emails en retard qui vont bientôt se déverser d’un coup, et l’accès aux dernières news, guerre en Ukraine, coupe du monde de foot, actualités diverses… WhatsApp va bientôt crépiter !!!

Nous profitons du tapis roulant des alizés, qui sont bien établis entre 15 et 20 N, avec une accalmie en matinée, des surventes le midi au point qu’il faille reprendre la barre au pilote qui décroche, et le soir cela s’atténue, toutefois le vent reste puissant toute la nuit. Les étoiles se détachent de la pénombre, parfois quelques nuages nous les masquent, cela ne dure pas bien longtemps, et voilà que notre esprit vagabonde dans les constellations.

Mes amis, mes amours, mes emmerdes !

Mes amis, d’abord honneur à l’équipage de cette transat est composé de vrais amis, des potes passionnés et marins: un de mes collèges de 50 ans de Lycée Brestois, un autre Bordelais ex-colocataire voilà 40 ans à l’IUT de Lannion, et le dernier larron Rennais est voisin et frère d’aventure depuis plus de 20ans. Deux autres copains de longue date, n’ont pu nous rejoindre pour raison familiale, on est resté en contact étroit avec eux pendant ce périple, et je tiens à les remercier de leur patience, et de leur aide morale. L’osmose de notre équipage est vite en place, et la solidarité est constante. Je pense aussi à toutes les personnes qui nous suivent, à qui l’évocation de ce projet de transat a fait briller le regard, et avec qui on s’est chacun entretenu parfois pendant des heures sur les détails de ce projet, leurs questions candides nous ont aidés à préparer certains détails.
Nos amours nous ont gratifié de cette liberté de faire notre rêve de gosse, notre première transat, on loue leur sacrifice, nous profitons de cette chance offerte, on se sait surveillé à distance, et on s’imagine à leur place guetter la moindre évolution de la trajectoire qui est exposée heure par heure sur ce site web.
Si chaque avarie nous plombe le moral, c’est soit du confort en moins, soit un risque supplémentaire nous obligeant à gérer les efforts, donc à ménager notre voilier pour arriver à bon port !

Nos emmerdes n’ont pas tardées, nous avons eu notre lot de déboires, d’ennuis mécaniques, de dysfonctionnements qui cassent l’ambiance, ou sapent le moral, ou bien affectent notre confiance dans le bateau: voici en vrac quelques éléments qui ont lâchés pendant ce périple, on commencera pas un coulisseau de Grand-Voile qui a été explosé lors des fassiellements lors de la prise de ris, puis le propulseur qui a pris feu, ensuite c’est l’axe du chariot de Grand-Voile qui a explosé, et là pas de solution de rechange, on répare comme on peut dans une houle de 3m avec une meuleuse pas adaptée à la situation, mais seul moyen d’ébarber les parties coupantes, bien sur la découverte puis la surveillance quotidienne des entrées d’eau sur la poupe du bateau, cela va nous poursuivre pendant tout le parcours, on perd également un panneau de pont, ce jour-là; le dessalinisateur qui n’est plus fonctionnel, on s’en rend compte un peu tard, il nous reste qu’un réservoir d’eau douce à ce moment-là, finalement le spi se déchire alors qu’on l’a hissé sans soucis dans un flux de 12 N, je le vois se découper en deux avec 15N ! Le halebas fait des siennes, on remplace un axe tordu, ce dernier casse net 4 jours plus tard, on a deux pièces de rechange, n’en jetez plus, on a tellement hâte d’arriver heureux…
Sans doute pour conjurer les sorts, nous avons fait un concours de pronostics à bulletin secret, pour déterminer la date et l’heure d’arrivée à la bouée n° 2 du Marin !
le gagnant se verra offrir un repas de galas !

Nuages

Comparés souvent à des pompes d’énergie, nos nuages ont plusieurs comportements dont profitent le voilier, lorsqu’on s’en rapproche, si cela adonne c’est que l’on ressent un bénéfice au cap et en vitesse, s’il refuse c’est l’inverse, on espère toujours la première option.
En observant les barbules, les formes variées des mamelons, un œil aguerri s’en fait une opinion, soit on essaie de s’en rapprocher pour alors bénéficier de son influence, soit mieux vaut le fuir si on a la sensation opposée.
Mais ici encore, le plus fort, c’est bien le nuage qui décide, il peut proposer soit un calme temporaire, et le bateau cale, s’encalmine, ou tanque. L’équipage s’en plaindra aisément, ou bien c’est tout l’inverse le gain est réel, aux allures portantes on sent une petite survente, un filet d’air supplémentaire dans les oreilles, et aussitôt la pression dans les voiles augmente, la barre devient plus dure, le speedomètre indique une variation positive, la vie est belle, on avance mieux, et cerise sur le gâteau parfois le cap est meilleur, il faut comprendre qu’on va droit au but, enfin pour quelques temps…


Si tout ça va bien de jour, de nuit c’est une autre affaire, avec la lueur de la lune on peut encore anticiper un tant soit peu, si c’est nuit noire, c’est comme la loterie, difficile de prévoir quelle taille de nuage vient à notre rencontre ou bien nous rattrapera, si on ne s’en rend pas compte assez vite, c’est l’effet surprise avec des sautes de cap et de puissance qui peuvent être impressionnantes, on peut subir un plan de voilure qui était parfaitement adapté à la situation depuis des heures, et subitement on se retrouve surtoilé, le départ au loft ou à l’abattée vous guette si vous ne pouvez pas tenir la barre dans au bon cap, oui mais au fait lequel? dans l’affolement un coup de barre à bâbord, un coup à tribord, et vogue ma galère !
Si on part au tas, en vrac c’est la cata !
il va falloir réadapter rapidement, hélas facile à dire, si on ne peut tenir le bateau bout au vent, alors à ce moment précis la cohésion de l’équipage doit être prompte, avisée et efficace pour remettre en place une garde-robe en cohérence avec cet évènement inopiné !

 


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Commentaires

4 réponses à “Rum-Road : 2° semaine”

  1. Avatar de alain.rioual@gmail.com
    alain.rioual@gmail.com

    Bravo à vous

    1. Avatar de jpr

      Merci breizh brother !

  2. Avatar de Ronan Coatanéa
    Ronan Coatanéa

    Merci pour ce récit! On a l impression d être avec vous et d entendre les cris du bateau ! Vous menez votre aventure et c est impressionnant .

    1. Avatar de jpr

      Si on a réussi à vous embarquer dans notre aventure c’est déjà beaucoup,
      on en avait rêvé, on l’a fait, et on est très content de la partager avec nos connaissances.
      l’arrivée est proche, il flotte comme une envie d’un prochain défit abordable pour notre âge !